AU FIL DES SEMAINES > L’ACTU – Une prière pour le salut économique de l’Afrique
Une nouvelle spirale de surendettement inquiète les prêteurs et les investisseurs.
Fin 2015, le président zambien, Edgar Lungu, ne savait plus à quel saint se vouer pour enrayer la chute libre de la monnaie nationale. Le kwacha venait de perdre la moitié de sa valeur en douze mois, et continuait sa dégringolade. En dernier recours, le chef de l’État avait ordonné une journée de prière nationale pour la devise, demandant qu’on ferme « les bars, les boîtes de nuit et tous les lieux de distraction », qu’on annule même les matchs de football, pour s’en remettre au Tout-Puissant, afin qu’Il vienne en aide à la monnaie nationale en péril.
Ses voeux ont été exaucés, au moins en partie. En 2016, le kwacha a été réévalué par rapport au dollar. La raison n’en est pas divine mais financière : la Zambie a emprunté, quelques mois plus tôt, 1,25 milliard de dollars sur les marchés, dépensés en partie pour soutenir le kwacha. Mais la facture a été salée : le taux de l’émission de l’emprunt souverain a atteint 9,4 %, tiré vers le haut par la chute des cours du cuivre, première source de devises de la Zambie, et la flambée des dépenses publiques. En 2012, lorsque tout semblait sourire au pays, qui affichait 7,3 % de croissance, Lusaka empruntait à un taux inférieur à celui de l’Espagne…
Que s’est-il passé depuis ? Une conjonction de différents facteurs, que plusieurs pays d’Afrique subissent de plein fouet. Une forme de « tempête parfaite », qui fait craindre le retour aux heures sombres, celles du surendettement des années 1980 et 1990, que les participants au 26e Forum économique mondial sur l’Afrique, qui s’ouvrait mercredi à Kigali (Rwanda), veulent à tout prix éviter.
Le mécanisme est connu et ressemble à un cercle vicieux : la baisse des cours des matières premières oblige le pays à contracter des prêts en dollars sur les marchés. Mais les taux de ces emprunts flambent au fur et à mesure que se dégrade la situation économique locale et que les agences dégradent la note souveraine du pays. La devise nationale est alors fortement dévaluée… ce qui rend plus lourd le remboursement en dollars des prêts contractés. Selon les calculs de la coalition Jubilee Debt Campaign, les remboursements du Ghana pourraient passer de 16 % à 23 % des revenus du gouvernement, sur la seule base de la dévaluation de la monnaie locale, le cédi, face au dollar.
Spirale de surendettement
Les pays les plus touchés, dans leur majorité, sont ceux qui dépendent le plus de leurs exportations de matières premières, comme l’Angola ou le Nigeria. Ce n’est pas une surprise. « Si les prix du pétrole venaient à s’effondrer, l’Angola, le Gabon, le Congo et la Zambie pourraient se heurter à des difficultés dans le remboursement de leurs obligations souveraines », avertissait, dès 2013, lorsque les cours étaient au plus haut, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Certains pays, comme la Zambie, « ont utilisé la dette comme une sorte de revenu », ajoute Ronak Gopaldas, responsable du risque pays à la Rand Merchant Bank.
Il est vrai que la situation se prêtait alors à l’endettement : après la crise financière de 2008, les capitaux étaient disponibles, et de nombreux pays africains venaient de voir leur dette restructurée ou effacée — plus de 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale, dont le plus gros en Afrique — dans le cadre de l’initiative Pays pauvres très endettés.
Mais l’euphorie post-crise passée, l’inquiétude gagne désormais les bailleurs, comme les investisseurs, face à la menace d’une nouvelle spirale de surendettement. John Page, ancien chef économiste pour l’Afrique à la Banque mondiale, désormais à la Brookings Institution, assure que ce phénomène « commence à inquiéter les gouverneurs des banques centrales africaines ».
Selon cet expert, « la façon de résoudre ce problème dans un monde de matières premières aux prix déclinants est de tenter de remplir certains des espaces laissés vacants par la Chine, lorsqu’elle abandonne certains secteurs manufacturiers globaux ». Comprenez : les pays africains doivent mener une politique de diversification et d’industrialisation, en même temps qu’une stratégie de « poussée vers l’export », estime M. Page. Alors que la part de l’Afrique dans la production industrielle planétaire était de 3 % en 1970, elle n’est plus que de 2 % en 2013.
D’une manière générale, les pays les plus pénalisés sont en effet les moins diversifiés.« L’Angola n’a pas anticipé la baisse durable des prix du pétrole, ils n’ont pas ouvert leur économie, pas stimulé les autres secteurs. Ils avaient créé un fonds souverain de 5 milliards de dollars, on ne sait pas ce qu’ils en ont fait », résume un grand banquier impliqué dans ce pays. Obligé d’introduire des règles de contrôle des changes, l’Angola a même dû se résoudre à reprendre des relations avec le Fonds monétaire international, où il a été annoncé que la croissance de l’Afrique en 2015 n’a été que de 3 %, contre près de 7 % encore récemment.
« Fondamentalement, on n’est pas dans un retour aux années 1980 », nuance Aurélien Mali, chef de l’analyse Afrique chez Moody’s. Les pays concernés font certes face « à un choc d’une violence extrême, avec la baisse des cours de certaines matières premières, les prix des métaux divisés par deux, le pétrole par trois », mais ils ont un « taux d’endettement moyen encore acceptable, de l’ordre de 40 % ».
Tempête
L’épreuve en cours peut donc servir de test grandeur nature pour le continent, même si chacune des économies est différente. D’un côté, certains pays ont déjà fait défaut (Mozambique) ou sont en « situation critique » (Ghana, Zambie). De l’autre, des économies, fondées sur d’autres ressources que les mines et les hydrocarbures, sont au contraire en progression nette. Une partie du continent échappe à cette « tempête » de l’endettement, de la dévaluation et de la chute des cours. Ce sont, par exemple, l’Éthiopie, ou surtout la Côte d’Ivoire, dont « on a pu mesurer la force de l’économie agricole », note M. Mali.
Malgré la crise, certains gouvernements bénéficient également d’un nombre croissant de partenaires. « La Chine a changé de stratégie : elle cherche désormais à promouvoir, de manière très volontaire, l’industrialisation. Ils nous approchent pour proposer de réfléchir à des projets communs », explique Martha Stein-Sochas, directrice pour l’Afrique australe du bureau de l’Agence française de développement (AFD). Le Nigeria vient ainsi de signer un accord avec la Chine, source de 70 % de ses importations, pour payer les transactions en renminbi (yuan), sans passer par le dollar. Un moyen pour le pays de desserrer — un peu — l’étreinte monétaire et limiter l’inflation, aujourd’hui supérieure à 12 % par an.
Illustration : À Lusaka, en octobre 2015, une jeune femme, comme des milliers de concitoyens, a répondu à l’invitation du président de la Zambie leur enjoignant de prier pour le sauvetage de leur monnaie. (Photo: Salim Dawook Agence France-Presse)
Le Devoir
Le FMI met en garde les pays africains contre l’endettement lié au financement des projets d’infrastructures
Le premier directeur général adjoint du Fonds monétaire international, David Lipton (photo), a appelé, le 9 mai, les pays africains à trouver le bon équilibre en ce qui concerne le financement des projets d’infrastructures pour éviter de tomber dans le piège de l’endettement excessif. «Les projets d’infrastructure peuvent être très bénéfiques pour la croissance s’ils sont bien choisis et réalisés de façon efficace», a déclaré M. Lipton en marge d’une visite au Kenya.
Cité par l’agence Bloomberg, le dirigeant du FMI a estimé que toute erreur ou défaillance en matière de choix et de financement des projets d’infrastructures pourraient aboutir à plus de dettes que de bénéfices. «De nombreux pays africains ont récemment surmonté le problème de la dette, et il est important de veiller à pas faire à nouveau face à ce problème», a-t-il dit. Et d’ajouter : «Je ne vois pas des pays où la situation est inquiétante en ce moment mais c’est un risque que les pays africains doivent éviter».
Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, dont le Ghana et le Mozambique, ont demandé des programmes d’aide auprès du FMI ces derniers mois en raison notamment de la hausse des coûts d’emprunts sur les marchés internationaux. Les déficits budgétaires de la plupart de pays de la région se sont en effet creusés dans le sillage de la chute des cours des matières premières.
Le FMI avait décidé mi-avril de suspendre son aide au Mozambique, suite à la découverte de l’existence d’environ un milliard de dollars de dettes non intégrées dans les statistiques officielles. Une mission d’experts de l’institution basée à Washington qui devait se rendre à Maputo pour évaluer les comptes publics et donner leur feu vert au versement d’une nouvelle tranche de prêt, a été ainsi annulée. Depuis, les autorités mozambicaines reconnu leur faute et ont fourni au FMI de nouvelles données suite à une récente rencontre entre le Premier ministre Carlos Agostinho do Rosario et la directrice du FMI, Christine Lagarde.
agenceecofin
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