AU FIL DES SEMAINES > L’ACTU – Pourquoi parler de modèle d’innovation et de management africain…
L’histoire nous apprend à ne pas nous fier aux apparences
A la fin des années 60, en Corée, le revenu par habitant était inférieur à celui du Mali aujourd’hui. Ainsi, beaucoup de quarantenaires d’origine coréenne (dont une ancienne ministre de la république) sont des enfants donnés à l’adoption par des familles qui souhaitaient leur offrir des perspectives plus reluisantes de vie que celle de la Corée d’alors. Le pays, récemment émancipé de la colonisation japonaise, restait à cette époque aux mains d’une dictature corrompue, brutalement anticommuniste. Il aurait été difficile de présager le développement qui s’en est suivi.
L’histoire économique et des modes managériaux regorge en effet de surprises. Si l’on avait évoqué le Japon des années 1950 comme future puissance économique, il est probable que cette affirmation aurait été sujette pour le moins à quelques moqueries. Pourtant, une des dernières grandes innovations du XXème siècle en matière de management (et qui a généré une quantité incroyable d’innovations) y est née, forte d’un miracle économique porté par 3 décennies de croissance: le Toyotisme ou approche de management par la qualité totale. Ce modèle a non seulement permis au Japon de connaître des gains de productivité spectaculaires, mais au-delà, il s’est exporté à peu près partout dans le monde, et a grandement modifié le mode de production industrielle.
Il existe pourtant des signes annonciateurs des nouveaux modèles.
C’est au regard de ces évolutions que l’idée même d’un management africain doit être considérée. Un observateur attentif ne s’y trompera pas, les similitudes existantes entre plusieurs régions d’Afrique et le contexte d’émergence de la Corée ou du Japon de l’après-guerre sont intéressantes.
La culture et plus particulièrement les systèmes communautaires qui structurent le « vivre ensemble » sont les fondations sur lesquelles les systèmes de management peuvent émerger et croître. Les formes d’organisation qui pré-existaient en Corée étaient adaptés à l’émergence des Chaebols, des ensembles d’entreprises, de domaines variés, entretenant entre elles des participations croisées et bénéficiant d’une forte puissance économique. C’était un modèle vernaculaire et totalement pertinent pour répondre à des besoins productifs industriels de haute valeur ajoutée.
Le modèle de management africain serait-il alors une réalité ?
Si l’on observe les caractéristiques de la révolution numérique et de ses conséquences sur le monde qui vient, on comprendra rapidement pourquoi l’ère de l’Afrique est probablement venue. Au sein des startups, le management est désormais horizontal, organisé en petits groupes à forte autonomie. L’agilité et l’innovation de rupture y sont beaucoup plus la norme que la mise en œuvre de règles contraignantes et top-down que l’on trouve généralement au sein des processus d’innovation incrémentale. De surcroît, les contraintes d’environnement et de ralentissement de l’économie mondiale, de plus en plus prégnantes, imposent désormais d’intégrer des principes de frugalité dans le développement.
Toutes ces notions se trouvent au cœur d’un bon nombre de cultures africaines, expliquant désormais pourquoi, peut-être, des dizaines d’innovations venues d’Afrique commencent à trouver leur chemin vers l’export. Ainsi de MPesa et de Orange Money, désormais accessible en Occident ; de Mkopa, un système d’énergie solaire domestique ; du routeur ADSL/3G, le BRCK inventé au Kenya, ainsi du réfrigérateur en argile, etc.
Plutôt que de voir une perspective africaine pétrie de catastrophisme, ne serait-il pas temps d’envisager une autre histoire?
Peut on se projeter dans une Afrique d’excellence, qui non seulement mettrait en œuvre un modèle de management propre, reposant sur l’agilité, la frugalité, la disruption… mais aussi qui s’en servirait pour accélérer une dynamique de développement endogène, permettant au continent d’éviter les erreurs commises par l’Occident?
Déjà les prémices de cette approche se font jour et des écoles en management de grande qualité fleurissent un peu partout sur le continent : l’ISM à Dakar, l’IHEM à Bamako, l’Université Kepler à Kigali… sans parler des grandes écoles françaises, Les Mines, l’Essec, ou Centrale qui prennent pied en ce moment même au Maroc. Elles ont la volonté de faire émerger des méthodes et modèles managériaux basés sur des cultures locales et aptes à accompagner le monde qui vient.
Stephan Eloise Gras et Gilles Babinet
La section 'Soumettre un Commentaire' est un espace de discussion portant sur le thème de l'article. La rédaction du site se réserve donc le droit de supprimer tout message hors-sujet ou ne respectant pas nos règles d'utilisation, en particulier en cas de propos diffamatoires ou injurieux.