AU FIL DES SEMAINES > L’ACTU – L’enseignement supérieur français est-il encore compétitif ?
Les récentes annonces des derniers lauréats des Idex (initiatives d’excellence) et d’Isite (Initiatives-Science – Innovation –Territoires – Economie) viennent clore le processus de sélection engagé il y a six ans par le Commissariat général à l’investissement pour faire éclore des grands centres de recherche et d’enseignement. La France se trouve ainsi dotée des neuf pôles d’excellence labellisés Idex (Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Nice, Paris-Saclay, PSL, Sorbonne Universités et Strasbourg). Un processus qu’avait adopté l’Allemagne dès 2012 en sélectionnant 11 universités (Humboldt à Berlin, Cologne, TU Munich, etc.) dans le cadre de sa German Universities Excellence Initiative. Mais cela peut-il suffire à rendre la France compétitive face à une concurrence internationale de plus en plus tendue ?
L’excellence pour affronter la compétition
Depuis 2012 le gouvernement de François Hollande a toujours suivi les avis d’un jury des Idex/Isite composé par la majorité précédente. Mais en se refusant autant que faire se peut à parler d’excellence et surtout de « doubles divisions » d’université : les « Research institutions » d’un côté, les « universités de proximité » de l’autre. Un état d’esprit contre lequel s’élève depuis longtemps le président d’honneur d’HEC, Bernard Ramanantsoa. « Nous devons nous appuyer sur des institutions mondiales à l’excellence assumée et affichée si nous ne voulons pas sortir de la compétition mondiale. Ou alors nous devrons diminuer peu à peu le coût de notre offre industrielle en nous paupérisant », rappelait-il lors d’un colloque organisé le 22 février dernier par l’Institut Friedland au sein de la CCI Paris Ile de France sur la thématique « L’enseignement supérieur français est-il économiquement compétitif sur le marché mondial de la formation ? ». Intervenant lors du colloque annuel de la Conférence des présidents d’université, qui se tenait les 28 février et 1er mars à Reims, Thierry Mandon refuse justement qu’on envisage un choix qui soit autre que celui de l’excellence : « Vouloir rendre notre économie « moins disante » est sans issue car il y a aura toujours meilleur que nous. Il faut monter en gamme et c’est le rôle des universités ».
Classements : la France en baisse
Les classements parus en 2016 sur les universités ont été cruels pour la France. Les trois institutions d’enseignement supérieur françaises figurant dans le top 100 du Classement de Shanghai sont toutes en baisse : l’UPMC perd trois places et se retrouve 39ème position, Paris Sud cinq (46ème) et l’Ecole normale supérieure quinze (87ème). Mêmes baisses dans le classement du Times Higher Education où il faut remonter bien plus loin pour trouver la première université française, l’ENS, seulement 66ème (classement stable) et où ses deux suivantes, l’Ecole polytechnique et l’UPMC connaissent des baisses brutales : 16 places perdues en 1 an pour la première (116ème) et 35 la seconde (126ème). Beaucoup mieux classée par QS, l’ENS n’en perd pas moins dix places en 1 an pour se retrouver cette année 33ème. Même chute de 10 places pour l’Ecole polytechnique (53ème) alors que l’UPMC en perd quatre et se retrouve 141ème.
Le constat est sans appel : pratiquement tous les établissements français sont en baisse dans tous les classements. Et Paris a même perdu sa place de première destination étudiante au profit de Montréal…
Etudiants étrangers : la France moins attractive
C’est un chiffre frappant : les effectifs des étudiants chinois en France ont baissé de 3,7% depuis 2010 après des années ininterrompues de hausse. Alors que la mobilité étudiante mondiale a progressé de 23% entre 2009 et 2014, la part de la France a progressé deux fois moins rapidement (+11,2%). Résultat, elle recule d’une place et se place à la quatrième place des pays d’accueil des étudiants en mobilité derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et maintenant l’Australie. En Europe, la France se situe au 4ème rang.
La croissance du nombre d’étudiants étrangers en France se fait aujourd’hui essentiellement dans les grandes écoles (+ 27% en 5 ans) alors que les effectifs restent stables à l’université (+3%) mais pourraient baisser avec les nouvelles règles de sélection en master. Réservant leurs places du M1 au M2 aux étudiants français, les universités ne savent guère comment elles vont pouvoir proposer des places en M2 à des étudiants internationaux. En annonçant qu’elle suspendait l’accueil des étudiants internationaux, avant de se rétracter, Paris Nanterre a montré combien le nouveau système pouvait être pénalisant pour l’attractivité de la France.
Un investissement de plus en plus insuffisant
Le constat est récurrent : la France investit insuffisamment dans son enseignement supérieur et sa recherche. En 2015, la France a consacré en tout 147,8 milliards d’euros à son système éducatif, soit 6,8% du PIB selon une note du MENESR. Après quinze ans de croissance soutenue avec + 3,1% par an en moyenne de 1980 à 1996 en prix constants (la part de la dépense intérieure d’éducation, la DIE, dans le PIB atteint son point haut en 1996, à 7,7%), la hausse s’est ralentie depuis 1997 avec + 0,9% en moyenne annuelle. Cette « dépense intérieure d’éducation » (DIE) est d’abord largement consacrée au second degré (58,3 Md€ soit 39,4% des dépenses) quand le premier degré doit se contenter de 42,5 Md€ (28,8%) et l’enseignement supérieur d’une portion congrue de 30,1 Md€ (20,3%). Certes 850 M€ de plus ont été affectés cette année mais c’est après quatre années de vache maigres et un « épisode » de ponctionnèrent des fonds de roulement des universités par l’Etat qui les a profondément heurtées.
Dans ce contexte contraint, les universités se sentent particulièrement défavorisées par l’évolution du GVT (glissement vieillisse technicité). Quoi qu’elles fassent, quelle que soit leur gestion, chaque année leurs masse salariale augmente naturellement et pour encore quelques années. « La pyramide des âges nous sera défavorable jusqu’en 2022 et le GVT nous coûtera jusque-là 1M€ pour Grenoble INP et 2 à 4 M€ pour l’Université Grenoble Alpes », témoigne par exemple le président de l’Université Grenoble Alpes, Patrick Lévy. De plus l’augmentation du nombre d’étudiants leur coûterait selon la CPU 300 M€ par an, compensés seulement à hauteur de 100 M€ par l’Etat cette année. Difficile dans ces conditions de se concentrer sur l’excellence et l’accueil des étudiants internationaux.
Et maintenant ?
Les experts de l’Institut Friedland veulent aussi voir des côtés positifs : « La réussite internationale de quelques établissements d’enseignements supérieurs de gestion, la balance globalement excédentaire des flux d’étudiants entre la France et l’étranger, l’activité entrepreneuriale qui a saisi le secteur de la formation français, l’arrivée récente d’investisseurs financiers sont des signaux encourageants sur la présence française sur les marchés mondiaux de la formation ». On pourrait ajouter un Brexit et une élection de Trump qui pourraient détourner beaucoup de bons étudiants internationaux de ces destinations phares, les perspectives de développement d’un enseignement supérieur africain francophone où la France reste leader, une stabilisation du paysage de l’enseignement supérieur post Idex ou encore une relance possible du processus de Bologne à l’occasion de la conférence qui se tiendra en France en 2018.
On peut espérer mais il faudra bien se décider à admettre que rien ne se fera si on ne promeut pas clairement l’excellence et si on ne donne pas clairement aux meilleurs de nos établissements la possibilité de se développer. Autonomie, responsabilités, dévolutions de patrimoines, droit à l’expérimentation, possibilité d’embauches plus souples, les présidents d’université et directeurs de grandes écoles analysent très justement leurs besoins et ne demandent pas forcément toujours plus de moyens financiers. Comme l’explique le président de l’université de Bordeaux, Manuel Tunon de Lara, « l’Etat doit d’une part identifier ses priorités en termes d’accès à l’enseignement supérieur, de développement scientifique, de recherche et d’innovation et en tirer les conséquences au plan budgétaire, et d’autre part, faciliter la tâche des établissements entre autres en favorisant la diversification des ressources. Pour cela il est indispensable de donner plus d’autonomie aux universités et rattraper leur retard par rapport à leurs homologues en Europe ». Selon les estimations de l’Association européenne des universités, sur les 29 pays européens examinés, la France occupe la 17ème place pour l’autonomie d’organisation, la 22ème en termes d’autonomie financière, la 28ème en ressources humaines et la 29ème du point de vue académique. Au-delà des moyens, si nous commencions déjà par libérer des énergies qui ne demandent qu’à s’exprimer au sein de la communauté universitaire nous regagnerions vite des places…
Olivier Rollot (Directeur Exécutif du Pôle Communication)
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