AU FIL DES SEMAINES > L’ACTU – Le futur de l’électricité se joue en partie dans les émergents
La multiplication des mégacapacités et de la croissance de l’Afrique sont des défis pour l’énergie de demain.
A l’heure où le débat fait rage entre les opposants au nucléaire et les partisans du «grand carénage » (travaux de remise à niveau des centrales nucléaires leur permettant de continuer à fonctionner durant vingt à trente ans) et de l’EPR, il est nécessaire de se poser la question consistant à savoir si ce débat n’occulte pas une évolution plus générale au monde de l’énergie électrique.
Première donnée d’importance : d’ici à vingt-cinq ans, une soixantaine de mégacités devraient apparaître dans le monde, soit plus d’un triplement par rapport à aujourd’hui. Ces mégacités comprendront au moins 10 millions d’habitants, parfois beaucoup plus, et seulement trois d’entre elles seront situées dans des pays développés.
Deuxième fait d’importance : aujourd’hui, seuls 22 % des Africains accèdent à l’électricité et la croissance accélérée du continent devrait accroître l’électrification de l’Afrique.
Troisième fait : les contraintes d’un monde post-COP21 nous imposent de penser différemment la production d’électricité. Les énergies renouvelables, autrefois considérées comme inapplicables à grande échelle, représentent désormais une alternative plus que crédible. Des pays comme le Maroc ou le Rwanda ont un taux d’équipement qui ferait pâlir d’envie nombre de pays développés dont les plus volontaristes en matière de transition énergétique.
Occasion manquée pour les géants français ?
Qu’il s’agisse des mégacités ou de l’électrification de vastes territoires, il est légitime de se poser la question de savoir si les acteurs français sont convenablement positionnés pour capter ce marché. Car, rappelons-le, la France dispose d’un nombre exceptionnellement élevé de leaders mondiaux dans le domaine électrique : Engie et EDF pour les producteurs, Schneider et Legrand pour les équipementiers, et Sonepar et Rexel pour les distributeurs.
Ces acteurs se sont pour la plupart développés dans le contexte du « grand bond en avant » français, c’est-à-dire la reconstruction du pays après 1946, qui a vu émerger une normalisation unique du pays (220 volts, 50 Hz…) au travers d’une logique colbertiste (que l’on retrouve typiquement en Chine aujourd’hui). Or, l’offre française ne semble pas tenir compte de l’émergence d’un paradigme des énergies renouvelables et des modèles hybrides au Sud. Si le potentiel de marché y est gigantesque, ses caractéristiques sont suffisamment éloignées des référentiels occidentaux pour courir le risque de laisser passer cette opportunité.
Capter les relais de croissance
Soulignons que les technologies de smartgrid , maillant efficacement mini producteurs et consommateurs dans un territoire restreint y seront ainsi la norme. Et, au delà, il est vraisemblable qu’une forte part des nouveaux équipements soit « off-grid » c’est-à-dire construits sans être reliés aux grandes infrastructures électriques.
Ils pourront comprendre une offre permettant une gouvernance énergétique locale avec un modèle d’ingénierie financière nouveau ; ils intégreront éventuellement des systèmes de compteurs permettant aux consommateurs de prépayer leurs factures d’électricité ; un niveau de télémaintenance inégalé, voire une part d’« open source » et la possibilité « d’imprimer » certains équipements lors d’opération de maintenance.
Or, tout cela ne fait qu’à peine l’objet de discussions au sein de la filière française, alors même que notre croissance paraît durablement faible là où celle de l’Afrique est souvent située entre 5 et 10 %. Il faut cesser de croire que l’Afrique va continuer à trouver sa jauge auprès de l’Europe ou même de l’Occident. Déjà des technologies endogènes émergent et se globalisent. Par exemple, MPesa est un système de « mobile banking » apparu au Kenya il y a sept ans qui transactionne désormais la moitié du PIB de ce pays et qui a fait récemment son apparition en Europe. Notre capacité à concevoir une offre globale et durable, au plus proche des relais de croissance situés au Sud, sera déterminante pour l’avenir de notre pays.
Stephan-Eloïse Gras et Gilles Babinet
cofondateurs d’Africa4tech
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